Virages
- Dorothée de Linares
- 26 août 2021
- 13 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mars 2023
Une Histoire à Fins Multiples de vies, de rages, de virés, d'âges, de virages, dans un cabinet de recrutement imaginaire.
Lisez la première partie, et décidez de la suite !

Lorsque le responsable commercial autoproclamé « technophile et charismatique » sortit enfin de son bureau, Fabienne était imprégnée de l’odeur de son parfum bas de gamme, malgré son masque. Le type était puant, à tous points de vue. Elle regretta de ne pas avoir écourté l’entretien. Trop professionnelle, ou seulement trop bête ? Elle eut à peine le temps d’ouvrir plus grand la fenêtre et de vérifier ses mails que l’accueil la prévenait de l’arrivée de la prochaine candidate, Estelle Gallois.
Elle était ponctuelle, un bon point.
Pour quel poste déjà, celle-là ?
Fabienne appréciait de jongler d’un métier à l’autre, de l’industrie à la grande distribution, en passant par les banques. C’était stimulant de faire avancer plusieurs recherches en parallèle, et de lutter contre la tension du temps qui file. Lorsque sa charge dépassait le supportable, elle se résignait à transférer quelques missions aux jeunes consultantes, Justine ou Anaïs, qui ne rapportaient guère encore de clients par elles-mêmes au cabinet. Cela faisait un moment que ça ne s’était pas produit cependant. L’activité avait ralenti ces derniers mois.
Cette fois-ci, la recruteuse expérimentée travaillait pour le groupe de décoration Mifa Sols, un de ses fidèles clients. Elle était fière de la dernière pépite qu’elle leur avait dénichée, Jenny. Jenny comment déjà ? Voilà qu’elle ne retrouvait plus son nom de famille, un nom courant pourtant, comme Durand ou Martin, comment avait-elle pu oublier ? Pourtant, elle se souvenait parfaitement de la jeune femme, embauchée en tant que chef de projets en communication, un poste d’attente, avant de prendre carrément la Direction de la Communication. Le dinosaure qui tenait le poste depuis trop longtemps avait enfin été dégagé.
Mifa Sols recherchait maintenant un responsable adjoint pour le nouveau magasin de Saint-Ouen ; ou plutôt un « responsable adjoint H/F », comme il fallait l’écrire sur l’annonce, pour bien marquer qu’on pouvait aussi embaucher des femmes. C’était un poste junior, sur la trajectoire vers les postes clés de direction de magasin. Jenny Dubois ! Ouf, elle avait retrouvé le nom de la communicante. Il faudrait qu’elle lui demande des nouvelles de son intégration. Mais d’abord, se recentrer sur le présent.
En quelques secondes, Fabienne se remit les critères de l’annonce en tête : sensibilité à l’univers des travaux dans la maison et de la décoration, organisation et rigueur, compétences en gestion, capacité de management, bon relationnel. Elle ouvrit la fiche de la candidate. Ça lui disait vaguement quelque chose, ce nom, Estelle Gallois, mais elle en avait vu tant passer, des noms, des candidats, des clients… La stagiaire qui avait fait l’entretien téléphonique avait noté dans la synthèse : lieu de travail OK, disponibilité immédiate, expérience à creuser.
Fabienne ne relisait plus les CV avant les entretiens, pour ne pas se laisser influencer par des points sans importance. Elle préférait rester ainsi plus ouverte aux personnes qu'elle rencontrait. Et puis, elle en avait marre des CV. Combien en avait-elle eus entre les mains depuis quinze ans qu’elle travaillait chez J.P. Herwitt … Plusieurs dizaines de milliers peut-être, ou plus encore ? Depuis que tout était informatisé, ils s’étaient multipliés, et elle passait moins de temps sur chacun. Elle pourrait même s’en passer complètement. On pourrait faire autrement, elle en était sûre. Dans un formulaire de candidature, on pourrait poser des questions bien ciblées, pour attirer les personnes qui correspondent aux vrais critères des postes à pourvoir, et filtrer les autres. On pourrait également utiliser d’autres outils, des tests bien calibrés, des mises en situation... Fabienne trouvait que cette norme du CV desservait de nombreux candidats, ceux qui ne possédaient pas bien les codes sociaux pour bien se vendre sur une feuille A4, ou ceux qui avaient un parcours plus atypique, et pour lesquels on était plus frileux à prendre des risques. Mais le marché était ce qu’il était, et ce n’était pas avec ses petits bras qu’elle pourrait révolutionner les usages, et changer les vieilles habitudes, des recruteurs comme des candidats. Et puis, elle n’était pas payée pour innover, elle était payée pour produire.
Il fallait y aller.
Fabienne contourna son bureau pour se planter là où il y avait un peu de place, bien droite, jambes légèrement écartées. Elle étendit len-te-ment les bras vers le haut et étira tout son corps en regardant le plafond, avec une longue inspiration. Puis elle relâcha tout d’un seul coup, en expirant profondément et en laissant ses bras se balancer. Elle effectua cet exercice trois fois, puis rajusta ses cheveux, rentra bien son chemisier dans sa jupe, et remit ses lunettes, puis un masque. Un rapide coup d’œil dans le miroir au-dessus de la cheminée. Elle était prête.
En bas, à l’accueil, les candidats se distinguaient d’un simple coup d’œil des autres visiteurs de l’immeuble de bureaux. Fabienne n’aurait su dire exactement à quoi elle les reconnaissait : une tenue plus soignée, une posture un peu raide d’observation prudente, comme s’ils n’étaient pas encore dans leur milieu naturel, ou au contraire une attitude qui surjouait la décontraction ?
Là, par exemple, la jeune femme blonde était la seule à ne pas être sur son téléphone. En avançant vers elle, Fabienne eut le temps de remarquer son regard aux aguets qui passait du bout de ses escarpins vernis aux personnes qui sortaient de l’ascenseur, ainsi que son air d’attente vaguement inquiet…
– Estelle ?
Depuis peu, Fabienne appelait ses candidats par leur prénom. C’était moins formel que Monsieur ou Madame, et cela profitait à la relation de confiance mutuelle qu’elle cherchait à instaurer. En général, ça passait bien ; elle avait même remarqué que les candidats qui lui répondaient « Madame Lesage » montraient en général moins de capacité d’adaptation que ceux qui osaient « Fabienne ». Cette fois-ci, deux grands yeux bleus écarquillés lui renvoyèrent une interrogation surprise. Fabienne comprit son erreur lorsqu’elle entendit une voix derrière elle :
– C’est moi, Estelle Gallois !
Fabienne s’excusa rapidement auprès de la jeune femme blonde, pour saluer la vraie Estelle, une femme moins jeune et moins blonde, à la poignée de main ferme et qui ne cachait pas que la méprise l’avait bien amusée.
Dès le début de l’entretien, Fabienne ne put s’empêcher de trouver la candidate sympathique, et elle se dit que le critère « bon relationnel » serait bien validé. Elle savait bien, pourtant, qu’elle devait se méfier. Ni sa première impression, ni ses affinités personnelles ne devaient dicter ses recommandations pour ses clients. Ce n’était pas une copine qu’elle recrutait.
Estelle était diplômée d’une école de commerce. Elle avait travaillé tous ses jeunes étés dans les boutiques de sa petite ville, et fait pendant ses études un premier stage dans un groupe d’agro-alimentaire, un autre dans une entreprise de gestion d’immobilier professionnel. Et puis, elle s’était mariée, avec un militaire. Les mobilités géographiques de son époux l’avaient amenée à arrêter de travailler, et aussi à aménager et décorer plusieurs logements. Elle avait d’ailleurs apporté une sorte de « book » de ses plus belles réalisations : une maison ancienne à côté de Metz, qu’ils avaient achetée, puis revendue, une autre, plus récente, à Bourges, un vaste appartement en location au cœur de Rennes, et surtout, la résidence secondaire dans le Marais Poitevin. Un article paru dans une revue de décoration avait vanté la renaissance de cette demeure ancienne, avec de belles photos. Estelle montra à Fabienne les carrelages en ciment qui venaient de Mifa Sols – le magasin de Niort, qui mettait mieux les produits en valeur que celui de La Rochelle, c’est dire si elle connaissait bien l’entreprise ! Pour ce qui était du management et de l’organisation personnelle, elle put expliquer qu’elle avait élevé cinq enfants, dont des jumeaux, qui avaient de nombreuses activités et des rythmes variés, pendant que son mari pouvait partir en opérations à l’étranger quelques semaines, voire plusieurs mois. Elle avait eu plusieurs engagements et responsabilités associatives. Elle évoqua son appétence pour les plannings, ses tableaux Excel pour l’organisation des vacances, et son rôle de trésorière d’une association d’envergure nationale. Elle avait aussi suivi avec succès un MOOC de gestion d’entreprise l’année précédente, pour se remettre à niveau. L’aînée des enfants était infirmière ; avec le COVID, c’était difficile. Les autres étaient encore étudiants, mais tous avaient passé les caps de sélection les plus difficiles. Ils avaient moins besoin d’elle. Quant à son mari, eh bien lui aussi, il avait moins besoin d’elle, apparemment. Elle n’avait pas prévu d’aborder ce sujet personnel en entretien, mais voilà, Fabienne l’avait mise à l’aise, alors autant lui dire : ils étaient en train de divorcer, et c’était le bon moment pour elle de reprendre une activité professionnelle.
Fabienne clarifia rapidement le point délicat de la rémunération. Estelle était bien consciente qu’elle serait payée comme une presque débutante, au début, et cela lui convenait. Mais elle espérait faire rapidement ses preuves et pouvoir progresser, y compris financièrement. Ce qui l’intéressait avant tout, c’était de s’insérer dans une vie d’entreprise, organiser, développer, satisfaire des clients en attente de beau, apprendre au contact de sa direction et de ses collègues, et pourquoi pas, prendre ensuite la responsabilité entière d’un magasin. Elle désirait partager son goût pour les produits Mifa Sols avec une large clientèle.
Fabienne creusa la capacité d’adaptation d’une personne indépendante comme Estelle à la culture Mifa Sols et à la vie d’équipe avec un personnel de magasin. Elle l’interrogea sur sa capacité à manager – ce n’était pas elle, la militaire, c’était son mari ! Sur le fait d’avoir un chef plus jeune qu’elle … le Président de la République actuel était bien plus jeune que nombre de ses ministres, non ?
Toutes ses réponses montraient que l’expérience et la maturité avaient apporté à Estelle la prise de recul nécessaire à une bonne adaptation à de nouvelles situations.
Pour conclure l’entretien, Fabienne lui expliqua la suite du processus de recrutement. Elle rencontrait d’autres candidats. Elle déciderait à la fin de la semaine si elle présentait Estelle à son client. Le cas échéant, celle-ci aurait deux nouveaux entretiens : avec la Directrice du Recrutement de Mifa Sols, et avec le Responsable du magasin de Saint-Ouen, et peut-être un troisième avec le N+2, le Directeur Magasins. Oui, ça faisait beaucoup d’entretiens… Mais c’était un beau poste, un poste tremplin, pour Mifa Sols, qui s’attachait à se constituer un vivier de futurs managers à potentiel. Fabienne lui ferait de toutes façons un retour. C’est sûr que son profil était original, mais intéressant, vraiment. Avait-elle encore des questions ?
Estelle répondit en la regardant droit dans les yeux :
– Merci beaucoup, Fabienne, pour cet entretien. Vous avez été transparente, j’espère l’avoir été aussi. Je suis bien consciente que mon parcours n’est pas classique. Mais vous avez bien compris que ce poste m’intéresse beaucoup, et j’espère que j’aurai la chance de rencontrer les équipes de Mifa Sols.
Puis elle ajouta, d’un ton un peu moins assuré :
– Une dernière petite question, plus personnelle… Vous aussi, vous avez vu trois fois Rain Man ?
Fabienne ne comprit pas tout de suite, alors Estelle compléta en rougissant derrière son masque :
– Ne seriez-vous pas, comme moi, une fille de 1973 ?
Mais bien sûr !
Fabienne connaissait encore les paroles de cette chanson de Vincent Delerm.
Celles qui s'appelaient Estelle Gallois, Katia Boucage, Sandrine Leprince, Fabienne Lesage, Marianne Artance, Elise Dufard, Myriam Blanchevin Les filles de 1973 ont trente ans…
En raccompagnant Estelle, Fabienne lui raconta dans l’ascenseur qu’elle était allée à un concert du chanteur à La Cigale, au moment de la sortie de l’album Kensington Square. C’était il y a plus de 15 ans, avant la naissance de sa fille. À l’époque, elle était fan. Elle avait même envoyé une lettre à la maison de production, mais elle n’avait jamais eu de réponse. Dommage. Elle était certes loin d’être la seule Fabienne Lesage. Rien que sur LinkedIn, il y en avait aujourd'hui une bonne quinzaine…
Estelle Gallois ne connaissait à peu près que cette chanson de Vincent Delerm, mais on la lui avait si souvent chantée, qu’elle la connaissait bien ! Elle-même n’était Gallois que par son mariage. Son regard s’assombrit lorsqu’elle ajouta qu’elle n’avait pas encore décidé si elle reprendrait son nom de naissance, qui était François, Estelle François.
De retour à son bureau, Fabienne se sentait d’humeur plus légère et détendue que d’habitude après un entretien. Elle écouta la fameuse chanson sur son ordinateur. Ça faisait si longtemps.
Celles qui ont vu trois fois Rain Man Celles qui ont pleuré Balavoine Celles qui faisaient des exposés Sur l'Apartheid et sur le Che Celles qui ont envoyé du riz En Ethiopie, en Somalie
Celles qui disaient "tu comprends pas"
Les images de son adolescence se mélangeaient avec celles du fameux concert à la Cigale. C’était vers la fin de sa grossesse, et donc à l’automne 2004, en octobre. Elle avait alors 31 ans. Stéphane s’était demandé si c’était une bonne idée d’aller au concert. Il était tellement anxieux. Mais tout s’était bien passé.
Celles qui mettaient des Bandanas Et des t-shirts Best Montana...
Tiens c’était amusant, Camille était justement partie en cours le matin même avec un bandana noué au poignet, qu’elle n’avait jamais vu jusqu’à présent. Fabienne lui avait demandé innocemment d’où il venait, et la lycéenne avait grogné « un pote », en levant les yeux au ciel pour bien montrer qu’il ne fallait pas investiguer plus loin. Camille pourrait dire, aussi, « tu comprends pas ».
Fabienne n’avait plus d’entretiens pour l’après-midi. Elle pouvait donc s’attaquer à la rédaction des synthèses. C’était toujours mieux de le faire à chaud, pour éviter de se mélanger les pinceaux entre les candidats. Elle commença par Estelle. Le commercial puant attendrait son tour. Elle reprit ses notes de la réunion de brief. Elle avait écrit mot à mot avec des guillemets la phrase de la Directrice du Recrutement de Mifa Sols expliquant le profil idéal : « un jeune, un jeune diplômé qui en veut, et que nous allons former aux méthodes Mifa Sols ».
Elle en voulait, Estelle, c’était sûr, mais ce qui était sûr également, c’est qu’elle n’était pas un diplômé, et encore moins un jeune diplômé.
Les filles de 1973 avaient 48 ans.
La réunion des consultants du lundi matin permettait à l’équipe de faire le point sur les missions en cours, en la présence du patron et fondateur du cabinet, que tout le monde appelait "JPH", sans savoir si c'était Jean-Pierre, Jean-Paul ou Jean-Philippe. À plus de 70 ans, JPH n’opérait plus de missions personnellement depuis longtemps, mais il assurait la revue de ses troupes et il respirait le terrain à travers elles. Il était encore à la manœuvre.
Ce matin-là, il fit une rapide introduction pour évoquer la crise actuelle et les efforts collectifs à fournir en attendant des jours meilleurs. Ensuite, le tour de table démarra sans surprise. Comme d’habitude, chaque consultant valorisait les recrutements qui étaient sur le point d’aboutir, et évoquait les difficultés qui se présentaient sur d’autres missions. Justine apporta une note positive en faisant part de la signature d’un contrat pour l’entreprise AVA SA, qu’elle était fière de ramener au cabinet. Fred, seul homme parmi les consultants, lui coupa la parole ; il connaissait bien AVA SA, il avait déjà recruté pour eux il y a quelques années, alors que Justine était encore sur les bancs de l’école. JPH ne dit rien, il s’était peut-être assoupi, ça lui arrivait de plus en plus, et personne ne jugea utile de demander à Fred pourquoi le client avait quitté le cabinet après sa prestation.
Lorsqu’arriva le tour de Fabienne, elle annonça qu’elle présenterait deux candidatures pour Mifa Sols, juste après la réunion. À l’autre bout de la grande table, en face d’elle, JPH avait remis ses lunettes et s’était penché en avant pour mieux entendre sa collaboratrice. Devant cette soudaine marque d’intérêt, Fabienne expliqua les attendus du poste de futur manager junior, et les deux candidatures retenues, un jeune sorti d’une des meilleures écoles de commerce de province et une femme au profil plus atypique mais vraiment intéressant.
JPH leva un sourcil et demanda qu’on lui fasse passer le dossier.
Oui, tout de suite.
La pochette transparente fit le tour de la table de main en main ; chacun jeta un coup d’œil au passage. Il y avait le CV d’Estelle avec la photo sur le dessus. Justine lança un regard à Anaïs, avec une moue à laquelle Fabienne tenta en vain de ne pas porter attention.
— Tu as bien dit que c’était pour un poste junior ? Apparemment, elle n’est plus toute jeune, ricana Fred en passant à son tour le dossier à JPH à côté de lui. Au moins, elle ne va pas tomber enceinte.
Fred avait quelques bonnes années de plus que Fabienne, et elle avait longtemps trouvé qu’il était de la « vieille école » du recrutement. Contrairement à elle, qui avait toujours aimé les nouvelles technologies, il avait eu du mal à passer le cap du digital. Il était resté des années réfractaire aux applications de recrutement en ligne et aux réseaux sociaux. « Je fais ce métier parce que c’est humain, ce n’est pas une machine qui va savoir mieux que moi ce qu’un candidat a dans les tripes ». Et puis, soudain, il avait découvert les sites de rencontres. Comme n’importe quel nouveau converti à une religion, il en était alors devenu l’un des plus fervents prosélytes. Il ne quittait plus son smartphone dernier cri. Sourcing online, scoring automatique, algorithme de matching, les nouveaux concepts n’avaient plus de secrets pour lui. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Un soir où ils prenaient un verre à la sortie du bureau, il était allé jusqu’à exposer à Fabienne les similarités d’approche entre la chasse sur les réseaux sociaux professionnels et la recherche de chair fraîche sur ses applications préférées.
Il avait aussi expliqué sans honte que sur son profil, il se rajeunissait d’une dizaine d’année, pour « choper en phase avec son âge sexuel ». Fabienne avait réussi à ne pas rire, et s’était demandé si les conquêtes de son collègue mettaient à jour la tromperie sur la marchandise. Son teint hâlé, ses chemises italiennes au blanc impeccable, cintrées juste comme il faut, et la couleur très naturelle de ses cheveux maintenaient peut-être l’illusion. Dans le fond, elle l’aimait bien, il la faisait rire, c’était un bon camarade. Et puis, il faisait bien ce qu’il voulait en dehors du boulot.
Mais là, devant leur patron commun, il était en train d’empiéter sur son territoire de chasse à elle, alors Fabienne se défendit :
— En effet, cette candidate a mon âge, même si elle est encore loin du tien. Mais pour ce poste, elle est bel et bien junior et elle est dans la fourchette salariale. Il n’y a aucune raison de la discriminer sur son âge, ce qui est interdit par la loi.
— Fabienne ! Je ne vais plus t'appeler Fabienne La Sage, maintenant ça va être Fabienne le troisième âge…
Fred bombait le torse, ravi de ses bons mots, en faisant des clins d’œil à Justine et Anaïs, qui gloussaient derrière leurs masques.
JPH reposa le dossier, pour sonner la fin de la récréation et lâcha :
— Je me demande si le gamin aura les épaules pour diriger un magasin dans trois ans.
Puis il enleva ses lunettes et s’adressa à Fabienne :
— C’est tout ce que vous avez ?
— Je suis vraiment confiante dans la qualité de ces deux candidatures, avec une préférence pour Estelle Gallois. J’en ai deux autres sous le coude, mais qui me semblent moins adaptées, et je préfère que la cliente puisse rencontrer rapidement ces deux-là avant qu’ils ne nous filent entre les doigts.
JPH prit un ton exagérément doux en regardant Fabienne avec ce qu’elle devinait être son sourire le plus mielleux pour lui répondre :
— Fabienne, vous êtes une excellente professionnelle. Vous savez combien j’apprécie votre travail depuis toutes ces années. Je vous laisse voir avec la Directrice Recrutement, c’est votre job. De mon côté, sachez que je déjeune avec mon ami Pavillon mercredi midi, vous savez, Pascal Pavillon, le Président Directeur Général de Mifa Sols. Je serais plus à l’aise de savoir que vous ne présentez pas une candidate senior pour un poste junior, mais bien sûr, c’est vous qui voyez, je vous fais confiance. On passe à la suite. Anaïs ?
Fin de la première partie.
A votre avis, que devrait faire Fabienne ?
A) Céder au souhait du patron et ne pas présenter Estelle au client
B) Affirmer sa position, et proposer ce profil "atypique" à Mifa Sols
Pour lire les deux fins de l'histoire, et l'avis d'IKATU CONSEIL, c'est ici !
je ne peux pas voter autrement que pour le profil "senior". Et j'ai hâte de connaître la suite !
et merci Dorothée de m'avoir remis en mémoire ce superbe album de Vincent Delerm que je vais m'empresser de réécouter ! 😀
Bien sûr je vote pour la candidate atypique, mais malheureusement le client est roi et si le patron souhaite un junior il ne s'intéressera même pas à cette candidature. Par ailleurs Fabienne va-t-elle prendre le risque de mécontenter son patron ? Cas de figure classique où nos valeurs peuvent entrer en contradiction avec nos intérêts??? à chacun d'arbitrer
Je vote pour que Fabienne défende le dossier d’Estelle, bec et ongle. Estelle a effectivement, comme dit dans l’article, un profil plus intéressant que le jeune homme de l’école de commerce qui est inévitablement « formaté ». Elle n’est pas « atypique », elle est « non formatée »’. Nuance. En matière commerciale, le non formatage est une grande richesse. En plus, le jeune de l’école de commerce va se défoncer mais la direction d’un magasin ne lui suffira pas. Il risque assez vite d’aller voir ailleurs, y compris dans une autre ville, pour avoir un meilleur salaire, diversifier sa « carrière » etc… Elle , en instance de divorce, sera très heureuse d’avoir un salaire, et si…
Je choisis l’option B, la candidature atypique !