Ça sert à quelque chose, le 8 mars ?
- Dorothée de Linares
- 8 mars 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mars 2023
Un 8 mars, j'ai reçu une fleur de mon entreprise, une belle rose qui était posée sur mon bureau lorsque je suis arrivée le matin. Une autre fois, un savon ! Et des chocolats, aussi, d'une organisation syndicale.
Je crois que j'aurais préféré à l'époque qu'on me prouve que mon bonus était équivalent à celui de mes homologues masculins.

Maintenant, en tant qu'indépendante (je devrais dire entrepreneure, c'est plus viril ;-) pas de risque de cadeau inapproprié.
Mais aujourd'hui, le #8mars, la #JournéeInternationaledesdroitsdesfemmes, on ne parle que de cela sur mon fil LinkedIn.
Je m'y plonge.
Des chiffres épouvantables,
Des rappels historiques,
Des entreprises fières de leurs femmes - avec parfois un petit risque de sexisme bienveillant (Ah le beau sourire de ces femmes !),
Des portraits, des témoignages de femmes inspirantes, des rôles modèles à la pelle,
Des annonces de sensibilisations internes,
Des bonnes pratiques à mettre en place,
Des entreprises, des associations, nécessaires, qui proposent leurs services pour améliorer l'égalité,
Et puis aussi quelques injonctions envers les femmes : pour trouver sa place, il suffirait d'oser, mesdames !
C'est presque trop ! Il y a certes un biais d'échantillon mes contacts LinkedIn sont comme moi des (belles) personnes convaincues et agissant pour l’égalité. Mais est ce que ça marche, au-delà de ce cercle, au-delà de cet entre soi ?
Le rapport 2023 du Haut Commissariat à l'Egalité sur l'état du sexisme en France nous informe qu'on est loin d'avoir gagné la partie. Comment convaincre les 25% de jeunes hommes qui croient que pour se faire respecter il faut savoir être violent ? Comment convaincre les 40% des hommes qui trouvent normal que les femmes s'arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs enfants ? Etc.
Qu'est ce qui fait que l'on bascule dans le camp de celles et ceux qui savent que les femmes ont des droits "plus fragiles" que ceux des hommes, même en France, qui savent qu'elles n'occupent pas les mêmes postes, qu'elles n'ont pas la même visibilité, qu'elles sont largement victimes de préjugés sexistes et de discriminations, de violences, de féminicides, qui savent qu'il n'y a pas égalité entre les femmes et les hommes dans notre société ? Et que l'on bascule dans le camp de ceux qui agissent ? Espérons que toute l'énergie déployée aujourd'hui aura servi à mettre en mouvement de nouvelles personnes.
En premier lieu, ce qui marche, bien sûr, pour être convaincu.e, c'est l'expérience personnelle.
Récemment on m'a demande de quand datait mon engagement féministe.
Bonne question !
Mon premier déclic, j'étais petite fille, et avec mon frère à peine plus âgé, nous admirions la crèche provençale de Noël, au fond d'une église. Un homme - vêtu d'une robe, soit dit en passant - est venu nous voir avec un grand sourire. "Ca vous intéresserait d'être enfant de chœur ?". Nous deux, en chœur justement : "ah oui !". Je n'étais pas sûre de bien savoir de quoi il s'agissait, mais si mon frère disait oui, c'est qu'il devait savoir que c'était intéressant. Mais voilà que l'homme m'a répondu, toujours avec son grand sourire qui était devenu mielleux, "Pas vous, mademoiselle, ce n'est pas pour les filles". Première fois qu'on me vouvoyait ! Et première fois que je n'avais pas les mêmes droits que mon frère.
[Rétrospectivement, je n'ai pas trop regretté, mais c'est une autre histoire]
Mon grand déclic professionnel se situe au tournant de ce siècle, il y a donc une bonne vingtaine d'années, lorsque j’avais fait une étude statistique en interne, sur les cadres dirigeants de mon entreprise d'alors, EDF-GDF. Une entreprise modèle, à la pointe, sociale, égalitaire et innovante. Par exemple, on testait la réduction collective du temps de travail, tout le monde à 4 jours payés presque 5, hommes et femmes, en contrepartie du recrutement de jeunes. Ou encore, j'avais un collègue qui avait pris un congé parental pour suivre sa femme en expatriation et c'est lui qui s'occupait des enfants. Moderne, je vous dis !
Mais revenons à notre étude. Ce que j'en ai retenu, c'est qu'il y avait moins de 20% de femmes parmi les cadres dirigeants, et que 80% d'entre elles étaient célibataires ou divorcées, sans enfants à charge, alors que ces messieurs étaient au contraire en grande majorité mariés, et avec 3 ou 4 enfants. Et je vous laisse deviner la profession de madame…
Plus tard, lorsque j'ai voulu évoluer dans l'entreprise, je ne me suis a priori pas vraiment sentie discriminée. Mais quand j'y réfléchis, il y a bien quelques exemples qui m'ont ramenée à ma situation de femme. Par exemple, on m'a demandé, en toute bienveillance, si je comptais avoir des enfants, lors d'un entretien me proposant d'intégrer un vivier de cadres "haut potentiel", sous-entendu qu'il faudrait peut-être quand même faire un choix entre carrière et famille… (La personne qui m'interrogeait était une directrice qui elle-même avait des enfants - je crois que c'était une façon de me dire qu'elle en avait bavé).
Cette question a-t-elle déjà été posée à un homme ?
Quelques années plus tard, je travaillais à ENGIE et Isabelle Kocher était Directrice Générale. J'ai remarqué que ses portraits dans la presse mentionnaient quasi systématiquement la couleur de son tailleur impeccable, et ses escarpins, ainsi bien sûr que ses 5 enfants. Et très honnêtement j'ai lu pas mal d'articles sur Gérard Mestrallet, le Président à l'époque, mais je n'ai jamais su combien d'enfants il avait, ni s'il était plutôt mocassins ou richelieus.
Même s'il y a encore du boulot, les droits et la situation des femmes ont continué à progresser, grâce à des évolutions légales (code du travail, quotas, index …) poussées par les mouvements et évolutions sociétales, parmi lesquelles #metoo, et je crois quand même aussi le battage que l'on fait autour de dates emblématiques comme le 8 mars. Et surtout, bien sûr tout le travail des acteurs de terrain, et l'engagement des entreprises et organisations publiques dans des démarches vertueuses. (coucou les détenteurs du #labelEgalité !)
Une remarque importante : dans cette histoire d'égalité F/H dans le monde du travail, on parle beaucoup des inégalités en haut de la pyramide, et moins de celles tout en bas. C'est utile de commencer par le haut, et de donner des rôles modèles, mais aujourd'hui je pense surtout aux femmes qui sont réduites aux métiers essentiels, vous vous souvenez, pendant le covid, les caissières et vendeuses, les aides-soignantes et infirmières, les aides à domiciles, mais aussi les nounous, les femmes de ménages… Mesdames, on ne parle guère de vous sur LinkedIn. Vous méritez notre plus grande considération. Vous méritez infiniment plus de reconnaissance.
Ce qui marche le plus sur moi, ce qui me marque, au-delà du rationnel des chiffres et des diagnostics, des lois et des contraintes, et me pousse à m'engager, ce sont les rencontres humaines, mais aussi les pas de côté, l’humour, l'art…
Ainsi mes recommandations inspirées de mes lectures LinkedIn du jour :
Une rétrospective percutante de l'activiste et photographe Sud Africain.e non-binaire, Zanele Muholi, à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris, jusqu'au 21 mai. https://www.mep-fr.org/event/zanele-muholi/
Dans un autre style, pour celles et ceux qui ne le suivent pas encore, regardez la vidéo du jour de l'humoriste Karim Duval : Le mâle 4.0
Vous pouvez aussi lire et partager mes premières histoires à fins multiples, publiées ici :
Et vous, c'est quoi vos déclics féministes ?
Merci pour ce post super intéressant.
L'un des déclics pour moi c'est quand mon premier enfant est allé à la crèche et que, systématiquement, c'est moi que la crèche appelait quand il était malade pour venir le chercher immédiatement. Si je passais le message au père et que c'était lui qui rappelait la crèche, il s'entendait très souvent répondre que non, ce n'était pas la peine qu'il se libère, que ça allait déjà un peu mieux, qu'il pouvait venir le soir seulement. On faisait pourtant le même boulot lui et moi. Et l'équipe de la crèche était exclusivement féminine.
Et à l'inverse quand il a un jour apporté pour la fête de fin d'année un beau gâteau en forme de…